Christophe Gerschel a plusieurs vies en parallèle. Qui pourrait imaginer que l’un des fondateurs en 2003 du cabinet d’avocats Alerion (100 personnes, dont 70 avocats), niché dans les beaux quartiers de Paris (7e arrondissement), passe la majeure partie de son temps libre à observer à la jumelle la faune. La vraie, pas celle des noctambules célèbres qui se noient dans les nuits parisiennes. « Je passe pas mal de mon temps sur les problématiques des oiseaux et des insectes, qui sont des familles d’animaux que je connais bien, et je me suis toujours intéressé aux arbres », confirme cet ornithologue amateur et entomologiste éclairé. Et qui pourrait également imaginer que cet avocat spécialisé dans les fusions-acquisitions et le droit fiscal aime plus que tout au monde s’enfoncer, parfois seul, dans les forêts d’Amazonie et d’Afrique, les plus hostiles de la planète, dès qu’il peut s’évader de Paris ? Loin, très loin des dossiers complexes et extrêmement confidentiels traitant de la vente de sociétés, principalement des PME et des ETI dans l’industrie, y compris de défense.

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Christophe Gerschel, malgré une vie professionnelle très intense, a été rattrapé par ses passions de jeunesse. Des passions stimulées par les histoires de Marcelle Vérité, sa grand-mère autrice pour la jeunesse, et par le temps passé à courir les trous à phosphates des forêts du Lot pour découvrir des ossements préhistoriques avec son frère Frédéric, journaliste grièvement blessé en Irak au cours d’un reportage de guerre. Ces passions-là, il les avait non pas enterrées mais contenues pour partir à la conquête de Paris et de ses lumières. Et ce conquistador extrêmement méthodique a cumulé les diplômes comme certains sportifs collectionnent les trophées. Christophe Gerschel a été à l’initiative de la création du cabinet Alerion, pour être maître à bord après avoir été un redoutable inspecteur des impôts chargé de traquer les gros fraudeurs, tout en étant chargé de cours à la faculté de droit à Paris Saclay.

« Sécuriser le foncier »

Aujourd’hui, il dégage du temps – de plus en plus – pour Green Sanctuaries, la fondation qu’il a créée en 2023 avec sa fille Flora. Son objectif : sauver les forêts primaires – les plus importantes pour la biodiversité – partout dans le monde en les rachetant ou en prenant des baux à long terme pour les protéger contre les sociétés forestières et le monde agricole, qui coupe des arbres pour développer élevage et agriculture intensive. « Ce qui est le plus important, c’est de sécuriser le foncier, prévient-il. Car, du jour au lendemain, les propriétaires peuvent décider de vendre leur forêt aux sociétés forestières ou à des sociétés d’extraction de pétrole. » Résultat, il est également chercheur de capitaux pour la fondation, qui fonctionne sur la base du mécénat et de dons (déductibles des impôts).

Je me suis promis de ne plus tuer aucun animal. Ni d’en manger

« Le déclic est venu en deux temps, explique-t-il. Il y a sept ou huit ans, je me suis promis de ne plus tuer aucun animal, insectes compris. Ni d’en manger. » Fini donc les chasses à travers la planète à la poursuite des papillons de la famille des Charaxes, notamment. « Puis je me suis dit qu’il fallait que je me mette en action pour protéger ces forêts qui me sont tellement chères, poursuit-il. C’était devenu une évidence. Protéger la forêt, c’est aussi lutter contre le réchauffement. Les grands arbres des forêts primaires sont les meilleurs pièges à carbone qui existent. » Pour être irréprochable dans sa démarche, l’avocat a tenu à doter Green Sanctuaries d’un comité scientifique composé de personnalités du monde de la recherche et de la science. Le biologiste réputé Gilles Bœuf, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, a par ailleurs accepté d’en être le parrain.

130 hectares sauvés en Amazonie

C’est parce qu’il est convaincu par son projet qu’il a tenu à investir 400 000 euros environ sur ses fonds propres pour munir la structure d’une force de frappe financière. Et acheter, Christophe Gerschel sait faire. À bientôt 60 ans, il a participé à plusieurs dizaines de deals dans le monde des affaires. C’est en juin 2023 que Green Sanctuaries a acquis auprès de propriétaires privés sa toute première forêt en Amazonie (Équateur) sur les contreforts des Andes, où vivent les Indiens Kichwa du Río Napo. Ces 130 hectares étaient menacés d’être transformés en monocultures d’exportation, essentiellement du cacao et du balsa. Une opération possible grâce aux premières levées de fonds, qui se sont élevées à plusieurs centaines de milliers d’euros, auprès notamment de ses amis industriels. La fondation a également acheté une forêt de 450 hectares dans l’est du Zimbabwe. Et elle est sur le point de conclure une nouvelle acquisition en France, plus précisément dans le Lot, pour protéger une forêt de 380 hectares (pas de coupe de bois, pas de chasse, pas d’élevage destiné aux abattoirs…).

Christophe Gerschel, l’avocat qui sauve les forêts

( Dans le Lot, où la fondation devrait acquérir 380 hectares. Crédits : PHILIPPE RO/SAIF IMAGES )

Pour mener à court terme d’autres projets de rachat qu’il a déjà lui-même identifiés, Christophe Gerschel compte lever cette année entre 2 et 3 millions d’euros. Green Sanctuaries vise une nouvelle parcelle d’environ 900 hectares dans le Río Napo, qui compléterait sa première acquisition et qui se trouve en bordure de la forêt communautaire des Kichwas déjà protégée (2 500 hectares). En Équateur, Green Sanctuaries souhaiterait également sauver la dernière forêt du Chocó équatorien (350 hectares), une région qui a subi une déforestation très étendue au profit là aussi de l’élevage intensif. Baptisé Tenka, ce projet a le soutien de Neoen, l’un des principaux producteurs français indépendants d’énergie exclusivement renouvelable. La fondation Veolia est pressentie pour faire partie de cette initiative.

Christophe Gerschel, l’avocat qui sauve les forêts

 ( En Guyane avec Claire Thor, membre du comité scientifique de la structure. Crédits : GREEN SANCTUARIES )

« En Amazonie équatorienne, on est dans l’endroit du monde où la biodiversité est la plus développée », souligne-t-il. Il a d’ailleurs des projets en Guyane, où Emmanuel Macron a récemment annoncé lors de sa visite en mars sa volonté de protéger la forêt amazonienne. Le militant a dans son viseur de petites parcelles, dont une de 5 hectares, peuplée par des anacondas de 5 mètres. Au total, la fondation pourrait devenir propriétaire de 50 à 100 hectares en Guyane. « Nous achetons des forêts, nous les laissons en libre évolution et nous les protégeons, explique-t-il. Comment ? Nous installons un écosystème sur place. Nous créons des emplois localement. Par exemple, dans le Río Napo, nous allons recruter deux gardes forestiers – des Indiens Kichwa – qui seront payés pour surveiller la forêt, vérifier qu’il n’y a pas de pièges et qu’on ne coupe pas d’arbres. »

Une levée de fonds à l’international

Au-delà de l’Amazonie, Green Sanctuaries travaille sur plusieurs opérations en Afrique, dont une très importante en Namibie, où la fondation souhaite acquérir 40 000 hectares. C’est une savane où vivent en liberté les derniers rhinocéros noirs, des girafes, des lions, des léopards… « C’est un projet déjà identifié mais nous n’avons pas encore les fonds », regrette Christophe Gerschel. L’organisation étudie aussi la perspective d’un bail à long terme au Cameroun, où elle vise plusieurs lots de forêts pour plus de 5 000 hectares. Pour relever tous ces défis, il s’est fixé l’objectif de lever entre 30 et 100 millions d’euros d’ici à 2030. Pourquoi ? « On souhaiterait pouvoir protéger au moins 100 000 hectares en 2030, indique-t-il. C’est l’année où l’objectif fixé par la COP15 d’une protection de 30 % de la planète doit être atteint. » Pour gagner ce pari, cet homme de défis travaille avec les fondations des grandes entreprises. Mais le chemin est souvent très (trop ?) long, tortueux et déceptif. Il souhaite également internationaliser son panel de donateurs.

Christophe Gerschel, l’avocat qui sauve les forêts

( En Namibie, les derniers rhinocéros noirs vivant en liberté. Crédits : SHUTTERSTOCK )

Cette levée de fonds servira à acquérir toutes les forêts identifiées, dont les prix évoluent selon les régions (entre 150 et 3 000 euros l’hectare en moyenne, à l’exception des forêts domaniales). « Notre projet en Namibie fait partie des prix les plus bas [180 euros l’hectare], détaille-t-il. Parce que c’est assez désertique. Le prix à l’hectare des forêts du Río Napo en Amazonie, les plus riches pour la biodiversité du monde, s’élève à 1 400 euros. Les forêts du Chocó équatorien, c’est 2 000 euros l’hectare. Nous avons étudié un projet en Nouvelle-Calédonie où le prix à l’hectare s’élève à 5 000 euros. » Green Sanctuaries semble être la seule fondation en Europe continentale à sécuriser le foncier de forêts primaires. Et sur le long terme, Christophe Gerschel ne désespère pas de rendre ces forêts aux pouvoirs publics ou aux communautés locales.

Michel Cabirol

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