Violences policières : « Il y a clairement pour ces affaires une justice d’exception », déplore l’avocat Vincent Brengarth


L’avocat Vincent Brengarth , à Paris en juin 2019.

L’avocat Vincent Brengarth , à Paris en juin 2019. JOEL SAGET / AFP

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Entretien  L’avocat engagé dans plusieurs dossiers liés aux libertés fondamentales propose de revoir le traitement judiciaire des affaires dans lesquelles des policiers sont impliqués.

En juillet 2023, le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux avait apporté son soutien, dans un entretien au « Parisien », à un agent de police placé en détention provisoire pour des faits intervenus lors des émeutes à Marseille, déclarant qu’un policier n’avait « pas sa place en prison » avant un éventuel procès, même s’il avait pu commettre « des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail ». Publi serviceLes plus grandes figures de l’autorité judiciaire avaient réagi, ainsi qu’une bonne partie de la classe politique. Partant notamment de cet événement, l’avocat Vincent Brengarth s’interroge dans son livre « A armes inégales » sur le traitement judiciaire des affaires impliquant des membres des forces de l’ordre. « Le Nouvel Obs » l’a rencontré.

Existerait-il à vos yeux en France une justice d’exception pour les affaires touchant des policiers ?

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Vincent Brengarth Clairement, je pense qu’il s’agit pour ces affaires d’une justice d’exception. Elle n’est pas normalisée, pas normée. Ce sont plutôt des pratiques qui se sont développées et même institutionnalisées mais qui sont très difficiles à combattre puisque précisément elles ne reposent sur aucun texte mais sur une question de pratique. L’idée de ce livre est de sortir d’une logique qui perdure dans les débats entourant ces questions : dès que l’on critique, on est catalogué comme anti-police. Ce n’est pas mon discours, même si certains voudraient le simplifier. Mon but, de façon concrète, est de questionner les mécanismes. Et il faut bien dire que cette justice d’exception, on la voit à tous les étages. Notamment dès la phase d’enquête où, si vous n’avez pas de preuve sous la forme d’un enregistrement vidéo ou sonore, vous partez avec un pied d’inégalité considérable. Elle se poursuit lors de l’examen des témoignages où la parole du policier est davantage considérée que tout autre. La parole des fonctionnaires peut aussi faire l’objet de concertations. Cette difficulté perdure lors de l’enquête préliminaire et ensuite quand la procédure se poursuit.

Le dernier rapport de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), publié en septembre dernier, souligne qu’elle est saisie de 1 065 enquêtes judiciaires et que le nombre de dossiers relatifs à l’usage des armes à feu augmente. Est-on dans une impasse, avec une justice d’exception, ou au contraire dans une volonté vertueuse de changer les choses ?

Cette volonté peut exister. On se souvient notamment de la prise de parole d’Emmanuel Macron, après l’affaire Zecler [ce producteur de rap frappé lors de son interpellation le 21 novembre 2020, NDLR], demandant au gouvernement de faire des propositions pour rétablir le lien de confiance. Cela a donné lieu au Beauvau de la sécurité mais a quasiment éludé cette question des violences policières. On voit qu’il y a une forme d’ambivalence du pouvoir politique. Face aux affaires exceptionnelles, il existe une volonté d’agir. Mais de façon générale, ces propositions sont toujours réduites, amoindries quand on en arrive au stade de changements législatifs. Par ailleurs, on traverse une période exceptionnelle en lien avec la possibilité pour tout citoyen ou tout justiciable de documenter les faits de violences grâce aux smartphones et aux caméras de vidéosurveillance… Cela crée un nouveau rapport à la preuve. Ceci oblige l’institution à réagir par l’ouverture d’enquêtes.

Vous citez plusieurs affaires dans lesquelles vous êtes vous-même intervenu comme avocat. Combien de procédures aboutissent à des sanctions ?

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Je ne peux pas donner de chiffres. Par expérience, je peux souligner qu’ici, à notre cabinet, les cas sont rares. Les affaires, pour la plupart, s’achèvent par un classement. Les cas dans lesquels des policiers sont jugés sont rares. Ceux dans lesquels ils sont condamnés le sont plus encore. Et les cas dans lesquels ils sont condamnés à des peines lourdes le sont encore davantage. On doit ajouter que la police aussi peut se prémunir, dans ces mises en cause, par des procédures de rébellion ou d’outrage. Quand le volet d’outrage ou de rébellion initié par des fonctionnaires de police est examiné par la justice –alors même que la plainte contre ces mêmes fonctionnaires n’a pas encore été instruite – nous faisons face à une difficulté objective. Ces asymétries profitent aux fonctionnaires. Une autre est le fait que les policiers sont tout de même les auxiliaires de la justice. Il est aujourd’hui, pour des raisons que l’on peut bien comprendre, très difficile pour un procureur ou pour un juge d’instruction de mettre en cause ceux qui demain pourraient lancer des investigations à leur demande ou qui sont leurs partenaires.

Comment briser ce fonctionnement institutionnel ?

Nous devons réfléchir aux liens hiérarchiques qui existent entre les procureurs et l’appareil policier pris dans son ensemble. Le point central pour moi est de savoir s’il faut institutionnaliser une justice spécialisée ou pas dans ces affaires. J’y suis plutôt favorable. Sur les grenades, sur les LBD (lanceurs de balles de défense) ou sur les techniques d’immobilisation, des magistrats trop peu formés sont insusceptibles de pouvoir contrôler de façon indépendante et objective les règles d’application. Généralement, ils se contentent de reproduire le raisonnement qui est contenu dans le rapport de synthèse de l’IGPN : ils n’ont pas les outils juridiques pour le contrecarrer ou au moins l’interroger. Ces questions supposent une connaissance extrêmement fine des conditions d’intervention des policiers. La mise en place de juridictions spécialisées éviterait les malentendus et les non-dits. Cela créerait un cadre d’égalité des justiciables.

D’autres régimes démocratiques proposent-ils des solutions satisfaisantes pour rétablir ce rapport d’équilibre entre le citoyen et les policiers ?

C’est très difficile de répondre. Sur la question des enquêtes visant des policiers, le Royaume-Uni par exemple propose un autre système que le nôtre et offre de meilleures garanties d’indépendance. L’Independent Office for Police Conduct (IPOC), depuis  2018, y est chargé de superviser le système de traitement des plaintes déposées contre les forces de police. On peut s’en inspirer pour créer un nouvel équilibre en France. Il faudrait sortir de la polarisation. Sur ces questions, on ne peut opposer les policiers, participants du camp de l’ordre et de la République, aux citoyens qui se plaignent d’actes particuliers et qui, ce faisant, seraient systématiquement du camp du désordre ou de la rébellion.

« A armes inégales. Face au juge, le policier est-il un citoyen comme les autres ? » par Vincent Brengarth, Editions Dialogues, collection Mercuriales.

« A armes inégales. Face au juge, le policier est-il un citoyen comme les autres ? » par Vincent Brengarth, Editions Dialogues, collection Mercuriales.

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