« Prochaine étape, la mort d’un avocat ? »
Une avocate a été agressée à Nancy le 23 juin dernier. (Photo d'illustration)
Une avocate a été agressée à Nancy le 23 juin dernier. (Photo d’illustration)
PHOTOPQR/L’EST REPUBLICAIN/MAXPP

La parole est à l’avocate

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Publié le 18/07/2024 à 16:00

Avocate agressée à Nancy, menaces contre des pénalistes français… Julia Courvoisier, robe noire à Paris et contributrice pour « Marianne », dénonce les menaces grandissantes visant sa profession et craint un passage à l’acte mortel.

Si la violence de la justice est mon quotidien, je ne vous cache pas que la violence du quotidien m’inquiète. Vous savez, cette petite violence gratuite, facile et rapide, qui s’est multipliée comme du chiendent ces dernières années. Toutes ces petites violences sont devenues, au fil des jours et des semaines, une normalité dans nos vies. Je dirai même plus : un mode de vie.

La semaine dernière, un site web tenu par un français, déjà condamné et réfugié en Russie, dressait une liste d’avocats à « envoyer dans un fossé ou dans un stade ». Ces avocats avaient publié une tribune sur le site de Marianne pour promettre, face au risque de la victoire du RN aux législatives, de « défendre le droit, notre Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme ».

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Le site de ce Français menaçant ajoutait : « C’est la grande majorité des avocats qu’il est nécessaire de neutraliser. Mais imaginons tous ceux de cette liste dans un cul de basse-fosse ou simplement disparus, et la peur changera de camp. Il est grand temps de remettre les choses en ordre. »

Évidemment, l’ensemble des avocats de France s’est insurgé contre cette haine crasse et, en réponse, ce courageux exilé nous a répondu : « La légitime défense contre ces véritables fascistes impose de les neutraliser. Les neutraliser avec les moyens nécessaires. Rappelons que ce sont ces mêmes charognes qui, pour se remplir les poches avec l’argent du crime, défendent les pires assassins d’enfants et de flics, sans compter bien sûr les égorgeurs et les violeurs d’outre-Méditerranée ». Et de terminer sa diarrhée verbale par : « Quand les factieux annoncent à l’avance qu’ils s’opposeront à la volonté du peuple, il ne reste que la force des baïonnettes ».

Vous noterez à ce stade que cet adorable auteur oublie de se nommer parmi les voyous que l’un de mes confrères a dû assister, puisque les avocats défendent tous ceux qui en ont besoin, quels qu’ils soient et quoi qu’ils aient fait. Mais passons sur ce détail.

Menaces, harcèlement, injures

La crise que nous traversons est très inquiétante : une crise politique, une crise institutionnelle mais aussi une crise humaine. Comme si nous commencions à perdre le sens commun, que notre comportement collectif ressemblait plus à ce que l’on voit dans les zoos qu’à ce que l’on devrait voir dans une société civilisée.

Les avocats prennent aujourd’hui aussi leur part d’ordures en pleine figure. Et nous avons à l’évidence atteint un sommet avec cet immonde site Internet. Mon métier est de moins en moins compris et je crains que beaucoup ne veuillent plus le comprendre. C’est facile de haïr un avocat : c’est beaucoup moins facile d’essayer de comprendre comment il a réussi à défendre celui qui est vu comme un monstre, tout en condamnant son crime. La colère enlève toute forme de distance.

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Je me souviens d’Élise Arfi, avocate de l’assassin de Shaïna, venue évoquer avec inquiétude les menaces téléphoniques reçues à son cabinet alors que son client venait d’être condamné. Quelques heures plus tard, elle parlait même de « persécution », après que certains lui aient annoncé le même sort que celui fait par son client à Shaïna… Je pense aussi à ma consœur Lucie Simon, avocate d’un imam expulsé de France. Menacée, harcelée, injuriée, elle avait fini par déposer plainte.

Et que dire des avocats de la défense dans le procès des attentats du 13 novembre 2015 qui ont subi des torrents d’insultes ? Ou de maître Alexandre Silva, avocat de la défense dans l’affaire Lola, qui, fort heureusement pour lui, n’est présent sur aucun réseau social pour voir le tsunami haineux qui succède à son intervention sur BFMTV. Que dire aussi de mon confrère lyonnais, David Metaxas, menacé d’être « flingué » : son agresseur, un militant néofasciste, a fort heureusement été condamné par la justice. Je pourrais aussi évoquer ma consœur Naïri Zadourian, qui a pris un torrent de haine raciste et sexiste de la part de l’extrême droite après avoir obtenu une nullité de procédure devant le tribunal correctionnel de Bobigny.

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Et la liste s’allonge puisque le 23 juin, une avocate au barreau de Nancy a carrément été agressée à son domicile. Oui, oui, vous lisez bien : à son domicile privé, un dimanche midi. Elle a reçu deux coups de poing de la part d’hommes encagoulés : « C’est toi qui veux faire couler le club », lui ont-ils lancé avant de la frapper. Motif ? Elle défend un médecin en conflit avec un club de football local.

« Les vannes de la haine sont dorénavant grandes ouvertes et une grande partie de notre classe politique et médiatique est responsable. »

On a clairement dépassé le stade du courrier anonyme parfumé à l’urine, de la souris morte dans la boîte aux lettres ou du tweet menaçant, qui sont finalement presque devenus des méthodes de petits rigolos à côté de ce que l’on vit ces derniers jours.

Cette agression, qui a eu lieu quelques jours seulement avant la publication de la liste des avocats « à éliminer », révèle que les digues de la civilisation viennent de sauter. Les vannes de la haine sont dorénavant grandes ouvertes et, pour être tout à fait honnête, je crois qu’une grande partie de notre classe politique et médiatique est responsable.

Il faut maintenant cesser l’angélisme : la prochaine étape pour ma profession, si nous n’arrêtons pas cet engrenage haineux, c’est la mort d’un avocat juste parce qu’il est avocat. C’est inéluctable. Et avec elle, celle de l’État de droit. Parce que ne plus accepter que chacun a le droit d’être défendu, c’est ne plus accepter l’État de droit : c’est aussi simple que cela.

Et n’en déplaise à notre exilé haineux qui n’a semble-t-il même pas compris la tribune qu’il dénonce, les avocats se battront toujours robes et âmes pour préserver la justice et l’état de droit.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

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