Après les émeutes du mois de mai, et l’incarcération en métropole de plusieurs responsables politiques de l’Union Calédonienne, Me François Roux, 73 ans, a décidé de sortir de sa retraite d’avocat et vient de se réinscrire au barreau de Montpellier, pour pouvoir participer à la défense des leaders Kanak, dont il accompagne les combats depuis plus de quarante ans.
Pourquoi avez-vous décidé le 29 juin dernier de vous réinscrire au barreau de Montpellier, alors que vous étiez un avocat retraité depuis 2009 ?
J’avais pris ma retraite d’avocat après avoir été nommé en 2009 par le secrétaire général des Nations unies au tribunal spécial pour le Liban de La Haye, où j’ai passé neuf ans comme responsable du bureau de la défense, avec un statut de haut fonctionnaire. J’avais gardé ma robe d’avocat à la maison, sur un cintre, j’ai toujours dit que je souhaitais qu’elle soit mise sur mon cercueil. Ma robe, et le drapeau de Kanaky. Quand les événements se sont accélérés en Nouvelle-Calédonie, j’ai décidé de la reprendre, parce que cela m’est demandé instamment par les instances politiques du FLNKS, et je suis bien accueilli parce que je suis à leurs côtés depuis 40 ans. Je suis toujours resté à leur contact : Marie-Claude Tjibaou était notre témoin de mariage en 2012 ici à Vebron (Lozère).
Comment êtes-vous intervenu professionnellement auprès des Kanaks ?
J’ai prêté serment en 1972, et j’ai commencé à défendre des gens luttant contre l’extension du camp militaire du Larzac, qui renvoyaient leur livret militaire, et se retrouvaient au tribunal. Il y a eu 300 procès dans toute la France. Mon histoire avec la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie commence à l’un de ces procès à Quimper, où je rencontre un pasteur rentrant d’une expédition maritime contre les essais nucléaires à Mururoa. J’ai été sollicité en 1978 pour un procès à Tahiti, où des prisonniers avaient tué un gardien de prison, puis appelé par la famille de Pierre Declercq, qui était secrétaire général de l’Union Calédonienne, le parti de Jean-Marie Tjibaou. C’était un blanc qui soutenait les indépendantistes, il avait été assassiné en 1981 et son assassin n’a jamais été retrouvé.
À quelles échéances avez-vous participé ?
Il y a eu le premier soulèvement de 1984, où Éloi Machoro, successeur de Declercq brise une urne avec une hache, une image très forte, alors que le gouvernement français essayait de faire passer un énième nouveau statut. Éloi Machoro brise l’urne pour dénoncer les conditions du scrutin, donne le signal de la révolte, et la Calédonie s’enflamme. Peu après, à Waan Yaat, une embuscade est tendue et on tue dix membres de la tribu de Jean-Marie Tjibaou, dont deux de ses frères. Quatre ans après, tous les accusés seront acquittés par la cour d’assises de Nouméa, qui a créé ce jour-là le concept de légitime défense avec préméditation. Le choc que cela a causé dans la Calédonie Kanake est terrifiant.
En 1985, après l’attentat contre sa famille où il se cachait, j’ai parlé à Jean-Marie Tjibaou du Larzac et de la non-violence. Il est venu plus tard chez moi à Lunel, puis régulièrement ensuite pendant les accords de Matignon en 1988. En 1998, j’ai été le conseiller technique de la délégation du FLNKS à Nouméa. J’ai participé à toutes les discussions sur le préambule, très important au plan historique, et sur l’accord lui-même. La soirée où le FLNKS a décidé de signer et est allé à pied au Haut-Commissariat est ancrée en moi. Il y avait l’Histoire et tout un peuple qui regardaient, et l’ombre de Jean-Marie et de Yewéné Yewéné était là aussi, eux qui s’étaient fait tuer pour avoir signé un précédent accord.
Je suis à nouveau en liens étroits avec eux depuis le troisième référendum de 2021 où les Kanaks ne sont pas allés voter parce qu’ils étaient en deuil à cause du Covid.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la situation de la Nouvelle-Calédonie ?
Il faut regarder cette situation au plan du droit international et pas du droit franco-français. Et il faut nommer les choses, car mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde, et un problème bien posé est déjà à moitié résolu. Nous sommes dans une colonie, face à un problème de décolonisation. Tant qu’on ne le regarde pas comme ça, on ne trouvera pas de solution. Tout mon travail auprès d’eux est d’éviter ce qui s’est passé avec l’Algérie. La France a raté la décolonisation de l’Algérie, avec toutes les blessures que cela a engendré. Est-ce qu’on ne peut pas faire mieux ?
Comment ?
Nous, juristes, nous basons sur la résolution des Nations Unis de décembre 1960 qui dit qu’on ne peut plus accepter le colonialisme. La puissance administrant ne peut pas réprimer le peuple qui veut se libérer. C’est tout. On peut ergoter, mais il faut trouver des formules pour assurer un destin commun.
La meilleure façon pour la France de rester en Nouvelle-Calédonie, c’est de négocier avec le peuple colonisé, ce qu’Edgar Pisani avait fait en proposant un statut d’indépendance-association en 1985, accepté par les Kanaks et refusé par les autres, et qu’il faut selon moi remettre sur la table. Mais combien de morts pour arriver à cela ? Il a fallu à chaque crise payer le prix du sang, le sang des Kanaks, très majoritairement.
Ce qui a à nouveau mis le feu aux poudres, c’est le projet hallucinant de dégeler le corps électoral, alors que les accords de Nouméa avaient dit qu’il était hors de question de rendre les Kanaks minoritaires dans leur propre pays. Bien sûr ce sont eux qui se sont révoltés, évidemment qu’il aurait fallu éviter cela, mais quel aveuglement !
Plusieurs responsables de l’Union calédonienne ont été incarcérés en métropole après les émeutes. Qu’en pensez-vous ?
Le précédent, c’était après l’affaire d’Ouvéa, où ils étaient tous incarcérés en région parisienne. C’est symbolique de voir qu’au départ la Nouvelle-Calédonie était une terre où l’on déportait les militants politiques, comme Louise Michel, et aujourd’hui, on déporte les militants politiques en métropole. Fondamentalement ce n’est pas une affaire judiciaire, c’est une affaire politique qui se résoudra par le politique. C’est le soulèvement d’un peuple qui veut se décoloniser. Un peuple à qui on a dit ne vous inquiétez pas, on va voter, avant de changer les règles. C’est par accident que la Nouvelle Calédonie est française. Au-delà des Caldoches, il y a eu depuis les années soixante toute une population qui a été importée, pour faire taire toutes velléités d’indépendance.
Que proposez-vous ?
Il faut sortir d’un processus franco-français. Cela suffit, maintenant. Faisons du droit, du droit international, et qui le représente mieux que l’ONU ? Ce que je soutiens, c’est un processus de médiation internationale, avec l’ONU. Je me bats aussi pour une commission vérité justice réconciliation internationale, sur le modèle de celle mise en place en Afrique du Sud. L’institut Louis Joinet a déjà une expérience et a mené deux missions sur place. C’est un passage obligé, avec un tiers neutre, qui permettrait de nettoyer beaucoup de choses.
Une situation financière critique selon Bercy
L’État a débloqué lundi un soutien financier d’urgence de 150 M€ pour la Nouvelle-Calédonie, qui est « dans une situation financière critique », selon un communiqué de Bercy.
Les émeutes de mai et juin ont détruit près de 800 entreprises et de multiples infrastructures. Le coût des dégâts est estimé à 2,2 milliards d’euros. Enercal, qui gère l’alimentation électrique sur le territoire, est au bord de la faillite et vient de bénéficier d’une aide de 14 M€ pour poursuivre ses activités.
La direction de l’usine de nickel KNS, l’une des trois implantées en Nouvelle-Calédonie, a annoncé le 26 juillet le licenciement de ses 1 200 salariés à la fin du mois d’août. Plus de 20 000 personnes sont au chômage, soit le tiers de l’emploi privé, selon la CCI de Nouméa.
Si le couvre-feu a été allégé la semaine dernière, avec une interdiction de circuler qui ne débute qu’à 21 h, des axes routiers sont toujours coupés, et des tensions persistent après les émeutes qui ont entraîné l’interpellation de 2000 personnes et la mort de dix personnes, dont deux gendarmes. Signe des tensions : la violation il y a dix jours du mausolée du chef kanak Ataï, symbole de la résistance à la colonisation : son crâne et celui de son sorcier ont été dérobés.
Selon des parlementaires calédoniens reçus à l’Élysée le 26 juillet, Emmanuel Macron aurait décidé le report des élections provinciales prévues au 15 décembre. Une grande réunion sur la question ultrasensible du corps électoral pourrait être organisée en septembre, après la nomination d’un nouveau gouvernement.
Marie Guévenoux, la ministre de l’Outre-Mer du gouvernement démissionnaire a débuté mercredi une visite de trois jours sur place, après avoir passé trois jours à Tahiti sur le site de surf des Jeux olympiques.
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