La parole est à l’avocate
Publié le 07/01/2025 à 20:00
L’avocate Julia Courvoisier, chroniqueuse pour « Marianne », répond aux propos de Gérald Darmanin qui a mis en cause certains avocats, accusés d’« emboliser le processus judiciaire ».
Je n’ai pas cessé de le dire en 2024 : la profession d’avocat est en danger. Elle est menacée et les principes qui nous gouvernent sont de plus en plus piétinés. Je l’ai écrit, je l’ai tweeté. Il m’est même arrivé de le plaider.
Au printemps dernier, une liste d’avocats présentés comme étant de gauche, a été diffusée sur un misérable site Internet : mes confrères, nominativement cités, y ont été menacés de terminer dans un fossé, une balle dans la tête. Ce site, digne du fond d’une cuvette de toilettes, a évidemment été fermé rapidement.
Durant l’été, au Sénat, j’ai entendu un procureur remettre en cause les honoraires de certains de mes confrères marseillais intervenant dans des dossiers de trafic de stupéfiants. Laissant penser qu’ils étaient à mettre dans le même panier que leurs clients voyous. Si un avocat viole la loi pénale, il doit être poursuivi. Et cela arrive, évidemment.
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À la rentrée, une avocate de la défense dans le procès de Mazan a été harcelée, injuriée et menacée, au motif qu’elle avait publié des stories sur Instagram jugées outrageantes par le grand public. Plutôt que de n’y accorder aucune importance et de passer son chemin, nombreux sont ceux qui l’ont retrouvée et ont agi comme des animaux.
Dans ce même dossier, nous avons ensuite assisté à des débats et commentaires enflammés à la télévision pendant des heures sur une phrase prononcée par un avocat, en audience, dans l’exercice de sa mission de défense. Nous avons passé un stade critique à ce moment-là. Que n’ai-je entendu dire… Que les avocats de la défense devaient aujourd’hui se refuser à poser certaines questions à la partie civile ? Pour ne pas choquer et heurter l’opinion publique avide de haine et de colère qui ne veut plus la justice mais réclame la vengeance ?
Justice délaissée et abandonnée
Je me suis attachée, toute l’année dernière, à dénoncer tout ce que j’ai pu. J’ai râlé contre les excès, rappelé la présomption d’innocence tout en dénonçant la délinquance quelle qu’elle soit, appelé à la prudence pour chaque dossier. J’ai parlé des politiques de droite, de gauche, du milieu, sans aucun parti pris. Je n’ai fait aucune différence. J’ai défendu les principes qui coulent dans les veines de chacun des avocats de France. J’ai essayé d’expliquer ce qu’est mon métier et en quoi consiste la défense. Qu’elle soit du côté des suspects ou du côté des parties civiles. J’ai parlé des nullités de procédure pénale, nécessaires pour éviter que la police et le parquet dépassent les limites et les bornes démocratiques. J’ai évoqué nos excès, notre colère, notre manque de confiance dans cette justice délaissée et abandonnée depuis des années. Et où tout cela pouvait nous mener si nous ne cessions pas notre bêtise affligeante.
Vous avez été nombreux à me lire, nombreux à réagir. Et je vous en remercie du fond du cœur.
Alors hier, lorsque j’ai entendu notre nouveau ministre de la Justice dire que « certains avocats ne travaillent pas à l’innocence de leurs clients mais à emboliser le processus judiciaire pour libérer des personnes », j’ai d’abord cru que j’avais perdu mon temps. Que j’avais écrit, tweeté, voire plaidé pour rien. Et cela m’a mise en colère.
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Puis j’ai repensé à Monsieur L, dont la garde à vue a été annulée parce que, malade, il n’avait pas pu voir de médecin pendant ses 48 heures en cellule et qu’il avait vu sa santé s’aggraver subitement, au point d’être opéré en urgence quelques semaines plus tard.
J’ai repensé à Monsieur R, remis en liberté au bout de 18 mois de détention provisoire, après n’avoir été auditionné qu’une seule fois par le juge d’instruction, lequel semblait s’être totalement désintéressé de son affaire.
J’ai repensé à Monsieur K, dont la garde à vue a été en grande partie annulée parce que les policiers avaient attendu plus de six heures pour me prévenir, alors même qu’il avait demandé mon assistance au moment où sa liberté avait été restreinte.
J’ai repensé aussi à Monsieur L, qui a fini par reconnaître son implication dans un dossier criminel parce que la confiance qu’il m’a accordée lui a permis de donner des réponses à la famille de la victime et avancer sur le chemin de sa reconstruction sociale et humaine.
Caricature de baveux
Des clients comme eux, il y en a partout dans les palais de justice. Il suffit d’y aller pour le constater. Et des avocats impliqués et sérieux qui s’attachent à défendre nos lois et nos principes fondamentaux, il y en a tout autant.
J’ai plaidé des nullités, l’innocence, mais aussi la sanction. J’ai contesté ce que j’ai cru bon devoir contester. J’ai fait appel, et parfois, j’ai renoncé à faire appel. Dans le seul intérêt de mes clients. Et dans le strict respect de la loi.
Contrairement à ce que dit notre nouveau ministre de la Justice qui avait dû sécher l’audience de comparutions immédiates lorsqu’il s’est rendu au tribunal correctionnel de Paris juste après sa nomination, le métier d’avocat ne consiste pas uniquement à « travailler pour l’innocence » de nos clients. Comment peut-on ainsi réduire le métier d’avocat à une sorte de caricature du baveux qui multiplie les recours pour faire innocenter son client au détriment du contenu d’un dossier ?
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L’avocat défend régulièrement des suspects qui savent qu’ils vont être condamnés : soit parce que le dossier pénal ne laisse planer aucun doute. Soit parce que le suspect reconnaît sa culpabilité. Soit les deux. Et cela arrive très souvent.
L’avocat qui récupère un dossier a plusieurs rôles. D’abord, vérifier que la procédure pénale a été respectée : garde à vue, autorisations, éléments techniques. Ensuite, regarder les éléments recueillis par les enquêteurs et comprendre ce qui est reproché à son client dans les détails : étudier les éléments à charge et à décharge. Enfin, écouter son client et voir si ses déclarations correspondent à ce qu’il y a dans le dossier. Le questionner, l’interroger, le mettre face à ses incohérences ou lui demander des explications. L’inciter à apporter des réponses.
Et rien qu’en écrivant ses lignes, je comprends que je continuerai à râler, tempérer, expliquer, raconter, argumenter pour cette année 2025 qui s’annonce d’ores et déjà riche en excès et en dangers.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne