Maître André Buffard, avocat du « tueur de DRH » Gabriel Fortin : « Mon client est coupé du monde

Le JDD. Gabriel Fortin était absent au moment du rendu de la décision. Comment a-t-il pris ce verdict, qui confirme la peine prononcée en première instance ?

André Buffard. Il a pris cette annonce comme tout le reste, avec beaucoup de distance. Il nous a seulement dit qu’il voulait se pourvoir en cassation. Et c’est tout. Il est comme cela tout le temps, un peu hors du temps. En tant qu’avocat, cela peut surprendre, mais ce n’est pas mon cas : depuis le début de l’affaire et le début des audiences en appel, il a cette attitude ; donc aucune surprise de notre côté. Il est fidèle à lui-même.

L’avocat général a décrit pendant son réquisitoire un homme dangereux, un « assassin en puissance ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Le réquisitoire de l’avocat général Hervé Gerbi consistait ni plus ni moins à dire qu’il fallait évidemment le sanctionner, qu’il était un danger, mais surtout qu’il fallait l’éliminer de la société. C’est ce qu’il a fait en prononçant ces mots et en réclamant la perpétuité. C’est une élimination pure et simple. 

Moi, je suis plus nuancé car j’ai toujours espoir en l’homme, que rien n’est définitif et que n’importe qui, quel que soit son crime, peut « changer »

Une nouvelle expertise psychologique réalisée pendant l’instruction affirme que le discernement de Gabriel Fortin était altérée au moment des faits. Que dit-elle exactement?

Cette expertise psychiatrique a en effet été ordonnée par la présidente de la cour d’assises Gaëlle Bardosse et concluait à une altération de son discernement. Plus exactement, cette expertise indique que le prévenu souffre de troubles de la « personnalité psychotique sans pour autant avoir franchi la frontière du délire ».

Oui, Gabriel Fortin souffre d’un trouble de la personnalité paranoïaque, mais n’est pas à proprement parler paranoïaque. On note aussi chez lui une tendance, je cite, à « l’humeur ombrageuse », « une hypertrophie de l’ego » et une « rancune tenace ». De quoi expliquer comment s’est « armé » son geste.

Cette altération est un cas qui peut être retenu par la juridiction, qui peut tout à fait entraîner une diminution de la peine, sauf s’il y a une délibération spécifique en dépit de cette altération. C’est ce qui s’est passé pendant cet appel et ce qui explique le refus de minorer la peine.

Pourquoi cette expertise n’a-t-elle pas été retenue par le jury pour alléger la peine de votre client ? Est-ce son attitude pendant le procès qui l’a selon vous desservi ?

L’avocat général a considéré toutes les hypothèses au sujet de mon client, dont celle de l’altération du discernement, qu’il a jugée valable, mais pas suffisante pour diminuer sa condamnation compte tenu de sa dangerosité.

Il est certain que son absence a pesé dans le sens où il est difficile d’apprécier l’évolution d’une personnalité quand elle se ne se présente pas devant une juridiction. Donc oui, cela n’a pas favorisé les choses, mais c’est l’attitude qu’il a depuis le début. S’il avait été présent et s’il s’était expliqué, cela n’aurait pas changé le fondement de l’affaire ni la dangerosité évoquée lors des débats.

Quel homme est-il en prison ?

Gabriel Fortin est isolé de tout comme il l’était dans le monde « libre ». Lorsqu’on le déplace dans le centre pénitentiaire de Valence où il est incarcéré, toutes les activités, tous les déplacements s’arrêtent.

Trois gardiens sont avec lui systématiquement et restent près du lieu où il se trouve. Il est coupé du monde et comme il était déjà isolé psychologiquement avant, le maintenir dans cette solitude ne fait qu’aggraver cet isolement psychique et cela ne va pas dans le bon sens pour lui.

Seule chose positive, si j’ose dire, c’est que nous avons instauré un rapport de confiance et nous avons un vrai dialogue avec lui. Il n’est absolument pas mutique, ce qui peut sembler contradictoire avec le reste.

Gabriel Fortin a annoncé ce mercredi vouloir se pourvoir en cassation. Qu’espère-t-il concrètement de cette nouvelle procédure ?

En fait, c’est très difficile de savoir ce qu’il espère. Ce qui est sûr, c’est que depuis le début, il a une attitude bloquée sur les institutions. On l’a vu déjà avec les faits reprochés. Désormais, ce blocage est dirigé contre les institutions judiciaires. Il n’accepte pas la décision, donc il reste dans sa logique d’aller au bout. Rien de plus.

Qu’espérez-vous en tant qu’avocat de ce pourvoi en cassation ? N’est-ce pas une ultime provocation ?

Les parties civiles, dans leur souffrance – et c’est logique –, voient dans toute attitude de Gabriel Fortin quelque chose de provocateur ou qui a pour but de faire perdurer leurs douleurs. Pour autant, il n’est pas du tout là-dedans, il ne raisonne pas du tout par rapport aux parties civiles, mais seulement en termes de procédures.

Concernant le pourvoi, il faut garder à l’esprit que c’est très technique. Cela va dépendre des procès-verbaux de la cour d’assises. Il faut qu’il y ait un vice de forme. On va donc transmettre le dossier à un avocat de la Cour de cassation, qui est le seul à être habilité dans cette procédure. C’est lui qui dira s’il y a ou non un vice et si on peut aller plus loin. On y verra plus clair dans un délai de 6 à 8 mois sur les chances que l’on a.