Me Jean Monier s’était juré de ne jamais plus plaider aux assises. Quinze ans plus tôt, il y avait fait acquitter un criminel qui, sitôt libéré, avait récidivé. Appelée pour une garde à vue durant laquelle un père de famille répond du meurtre de sa femme, son ex-compagne et toujours associée le supplie de la remplacer… Et voilà Me Monier qui replonge, presque malgré lui, dans les affres de la défense pénale.

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Inspiré d’un fait réel auquel avait été confronté l’avocat lillois Jean-Yves Moyart, décédé en 2021 et dont le blog, « Maître Mô », est demeuré culte, Le Fil (sortie le 11 septembre) permet à Daniel Auteuil de renouer avec la réalisation, tout en donnant la pleine mesure de son talent dans le rôle d’un avocat pénaliste habité par sa mission dévorante : défendre. Défendre coûte que coûte, seul contre tous, dans « ce centre géographique du malheur » dont parlait Me Moyart en évoquant la cour d’assises. Un « chaudron de l’humanité » où, disait-il, « on trouve le plus de vérité ». Entretien.

Le Point : Est-ce la première fois que vous jouez un avocat ?

Daniel Auteuil : Oui, enfin presque… J’en ai joué un au début de ma carrière mais il ne disait rien et ne faisait que passer (il rit.). En revanche, je me suis souvent retrouvé dans le box des accusés. Dans Lacenaire (de Francis Girod, 1990), poète et criminel du XIXe siècle, je réclamais pour moi-même la peine de mort, c’était assez théâtral. Dans la série Le Mensonge, je suis accusé à tort. Il y a eu L’Adversaire (de Nicole Garcia, 2002), où j’incarnais Jean-Claude Romand et j’ai aussi joué un prof de droit dans Le Brio (d’Yvan Attal, 2017).

Je voulais éviter toute forme de théâtralité, sans pour autant tomber dans le documentaire.

Avez-vous fait appel à un conseiller pénal pour réaliser Le Fil et camper Me Jean Monier ?

Nullement. Ma fille Nelly, qui produit le film, est aussi avocate de formation, ça aide ! C’est elle qui m’a fait découvrir le blog de Maître Mô [pseudonyme de l’avocat lillois Jean-Yves Moyart, aujourd’hui disparu] et lire son livre [Au Guet-Apens. Chroniques de la justice pénale ordinaire, éd. Table ronde], qui ont inspiré le scénario.

Comment vous êtes-vous préparé ?

J’avais bien quelques références en tête (Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger, La Vérité de Clouzot…), mais je me suis surtout invité à un procès à huis clos, au tribunal de Draguignan, où nous avons tourné ensuite. Un type y était jugé aux assises pour le viol de sa belle-fille, entre ses 10 et ses 13 ans. Une histoire horrible !

Ce qui m’a d’abord frappé, c’est l’incapacité de l’accusé à parler, à se défendre. Il n’avait pas accès au langage, il n’avait pas les mots et ne pouvait compter que sur son avocat pour se défendre et s’expliquer. Ça m’a touché car j’ai moi-même eu longtemps des difficultés avec la parole. Pour le rôle, je voulais faire ressortir la solitude que j’avais perçue chez cet avocat, avec qui j’échangeais à chaque suspension d’audience. Il me disait : « C’est cuit », « c’est foutu », mais il y retournait. Il sentait que son client allait se faire laminer, ses certitudes pouvaient vaciller mais il gardait foi dans sa mission, prêt à tout pour sauver cet homme, seul contre tous.

Mon personnage, Monier, est pareil. Il a constamment la peur au ventre ; il s’investit corps et âme au point de s’en rendre malade, dans la défense de Nicolas Milik (Grégory Gadebois), qui le manipule tout en lui témoignant sa reconnaissance. Celui-ci lui dit, après l’énoncé du verdict : « Avant vous, personne ne m’avait respecté comme ça. »

Filmer un procès est un exercice difficile au cinéma. Quel a été votre parti pris ?

Je voulais éviter toute forme de théâtralité, sans pour autant tomber dans le documentaire ; partager avec le spectateur ce que j’avais moi-même éprouvé au procès auquel j’avais assisté à Draguignan : la tension, la lourdeur des échanges et des dépositions, le poids des regards, du secret et des silences… Je voulais du doute, de la fragilité, de l’humanité et du malaise dans « mon » prétoire.

L’avocat que j’avais rencontré parlait doucement, il prenait son temps. Je lui ai piqué le truc du micro qu’il repousse pour aller parler aux jurés, en face-à-face. Je voulais restituer la relation qui s’instaure entre un accusé et son conseil, durant les débats mais aussi en dehors ; filmer leur solitude respective, ce qui implique de jouer avec le temps, de le fractionner et de l’éclater. À cette fin, j’ai filmé aussi le hors-champ du procès : les rendez-vous au parloir, les fourgons pénitentiaires, la souricière [les geôles du palais de justice], les suspensions d’audience, l’attente pesante du délibéré…

Tout sonne juste chez l’avocat que vous incarnez : le trac qui le dévore, ses doutes, son rapport au client et à la vérité, le poids du dossier… À part votre fille, vous en côtoyez beaucoup ?

Non… Ça, c’est le métier d’acteur ! Si je dois jouer un peintre, vous me verrez faire des tableaux. Je voulais jouer un type normal dans une situation anormale. Comment j’ai fait ? Moi je dis que c’est un peu le talent ! (Il rit.)

Vous avez choisi de poser votre caméra dans un vrai tribunal, un tribunal tout ce qu’il y a de plus banal, sans décorum ni colonnades, loin des représentations que l’on se fait habituellement des palais de justice. Un bloc de béton, monolithique…

Le tribunal de Draguignan m’a plu dès que j’y ai mis les pieds. J’y ai trouvé quelque chose de glacial, une absence de fioriture qui m’a permis d’être à l’os tout de suite. Il ressemble à l’affaire traitée dans le film : un meurtre ordinaire, si j’ose dire, comme il s’en produit malheureusement tous les jours. J’ai voulu être fidèle à l’esprit du blog de Maître Mô, qui relatait des histoires banales, loin des grands procès médiatiques mais qui nous plongent au cœur de l’humanité. « Le procès pénal, c’est le chaudron de l’humanité », disait-il.

Un procès ne raconte jamais toute la vérité, tout juste s’attache-t-il à la vérité judiciaire, fondée sur un régime de preuve légale. Il s’agit de faire émerger une « intime conviction », notion souvent mal comprise et assimilée, à tort, à une forme d’intuition… Avez-vous voulu questionner ce rapport de la justice à la vérité ?

Cette quête de vérité est au cœur du film. Chacun a la sienne, elle évolue, c’est une notion très relative et le processus judiciaire, qui vise en effet à façonner une intime conviction, sur la base des témoignages et des éléments de preuve rapportés durant les débats, a quelque chose de troublant et de fascinant. Les preuves sont rarement flagrantes, le mobile peut être énigmatique, les témoignages ne sont pas toujours fiables. Le verdict se joue souvent à peu de chose, le sort de l’accusé ne tient qu’à un fil, c’est pourquoi la responsabilité de l’avocat est écrasante. Je voulais passer régulièrement de la certitude que Milik soit coupable à celle qu’il soit innocent. D’ailleurs, Me Monier, comme l’avocat que j’avais vu à Draguignan, plaidera le bénéfice du doute.

À la fin d’un procès d’assises, le président donne lecture de l’article 353 du Code de procédure pénale, un texte saisissant qui s’adresse aux jurés et se conclut ainsi : « La loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus […]. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : avez-vous une intime conviction ? » Dans votre film, vous faites dire ce texte à votre personnage, dans sa plaidoirie…

Oui, je sais, je l’ai piqué au président (il rit). On peut, non ? On est au cinéma ! C’est un très beau texte. J’ai beaucoup travaillé sur la plaidoirie. La vraie, celle de Me Moyart, était beaucoup plus longue. Au cinéma, ce n’est pas possible.

Quel point commun voyez-vous entre le métier d’avocat et celui d’acteur ?

Je n’en vois qu’un : il faut être bon. Au-delà de la technique, du jeu et de la diction, il s’agit dans les deux cas d’être convaincant. Bien sûr, l’enjeu n’est pas le même. Que peut craindre l’acteur, sinon le ridicule ? Au besoin il refera une prise, ce que l’avocat, qui a la vie de son client entre ses mains, n’a pas la possibilité de faire. Sinon, il y a le trac. Me Monier est un homme d’expérience mais il est saisi constamment par la peur et l’angoisse. Il n’a, au fond, aucune certitude. J’y vois là une autre similitude avec mon métier d’acteur.


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